S’interroger sur la pertinence de l’emploi des matériaux locaux est une question récente dans l’histoire de l’architecture. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les maîtres d’œuvre n’imaginaient pas procéder autrement. La pierre, le bois et l’argile se conjuguaient alors en une production bâtie profondément inscrite dans son territoire. La Révolution industrielle est venue bouleverser les modes d’extraction, de transformation et de diffusion des matériaux de construction. Le développement des moyens de transport et la nouvelle organisation économique encouragent en effet la scission entre architecture et ressources locales.
Cette mutation se poursuit après la Première Guerre mondiale lorsque les atouts techniques et le faible coût du béton armé l’imposent sur la plupart des chantiers. La villa Colbert-Beaulieu à Nancy et la villa Schock à Metz en sont deux illustrations, inspirées dans les deux cas par les principes de l’avant-garde internationale. Face à cette modernité assumée, se dresse la doctrine régionaliste qui veut limiter le rôle de ce qu’elle appelle la « pâte à crêpes internationale » et milite pour un retour aux sources vernaculaires. Les fermes reconstruites après 1945 à Brû, Jeanménil et Moyenvic sont les héritières de ce courant de pensée.
Les trois décennies qui suivent sont dominées partout dans le monde occidental par la généralisation des techniques modernes. En Lorraine, ce phénomène est loin d’être séparé du territoire. On le constate pour partie dans le cas du béton, produit dans les grandes cimenteries de Xeuilley (54), Rombas et Héming (57). C’est plus évident pour l’architecture métallique, en prise directe avec la grande industrie sidérurgique régionale. L’œuvre des constructeurs Jean Prouvé et Ferdinand Fillod, dont on voit notamment des exemples à Vantoux, Saint-Dié-des-Vosges ou Fameck, n’est pleinement compréhensible qu’en considérant ce contexte local.
Le milieu lorrain du bâtiment peut également profiter de ressources en pierre. Le granit et le grès des Vosges tout comme le calcaire tiré des carrières de Jaumont (57), Euville et Savonnières (55) n’ont jamais été exclus de la construction moderne. Les architectes de la Seconde Reconstruction en font souvent usage, notamment pour établir une continuité historique avec les édifices détruits lors du conflit. On le voit à Robert-Espagne (55) ou à Corcieux (88). La démarche contextuelle d’autres maîtres d’œuvre explique son emploi pour le socle du musée Pierre Noël de Saint-Dié-des-Vosges, ou pour les façades d’immeubles à Bar-le-Duc. Matériau noble, la pierre de taille est aussi choisie pour sa valeur symbolique, comme au Mémorial de Verdun ou à l’hôtel de ville de Villers-lès-Nancy.
Les préoccupations écologiques actuelles entraînent une remise en question générale des ressources matérielles employées dans le bâtiment. La pierre y trouve sa part comme l’illustrent un immeuble à Verdun ou l’intérieur de la maison de santé de Void-Vacon. Mais le bois est évidemment le grand gagnant de cette évolution. La Lorraine jouit en la matière d’atouts exceptionnels. Les abondantes forêts de Meuse et des Vosges sont exploitées par des filières professionnelles aguerries, souvent encouragées par les pouvoirs publics. Université, école d’architecture et école d’ingénieur, avec comme fer de lance l’ENSTIB, œuvrent en osmose pour améliorer les performances du matériau et lui trouver de nouveaux débouchés. Cet élan ne serait rien sans l’implication d’agences d’architecture et de maîtres d’ouvrage toujours plus nombreux, séduits par les qualités économiques, écologiques et esthétiques de cette ressource millénaire. L’itinéraire La filière bois vosgienne, pour un renouveau écologique et esthétique de l’architecture contemporaine en fournit de nombreux exemples.
BRIOT Pierre & NORI Laëtitia, L’Aventure de la pierre d’Euville, Nancy : La Gazette lorraine, 2015.
VIGATO Jean-Claude, L’Architecture régionaliste, France 1890-1950, Paris : Éditions Norma, 1994.
Crédit photo : Aline Cuny/LHAC/ENSA Nancy © URCAUE Lorraine